« Quelques-uns tombent dans le jour » est un recueil de poèmes, publié aux Editions Henry en octobre 2003.
Dans ce recueil, l’auteur a voulu porter à la lumière, des situations ou des visages côtoyés au quotidien, dont la souffrance amène à détourner les regards, ou conduit à enterrer l’insupportable sous un flot de paroles médiatisées.
Marie-Agnès Chavent-Morel a cherché une écriture poétique pour traduire au plus près les failles de ces êtres qui auraient pu être vous ou moi ou tant d’autres en tous temps.
Vous pouvez vous procurer cet ouvrage en le commandant dans toute librairie ou sur le site des Editions Henry.
EXTRAITS
Tiré de « Drames de rien »
Vous entrez en chambre d’isolement sur la décision arbitraire d’un Interne de garde. Vous l’agacez avec vos fugues.
On vous ôte tout vêtement.
On vous couche de force sur un lit de fer.
On ne vous parle pas.
Ou des mots durs.
Par la fenêtre au double vitrage, des arbres coupés en deux tremblent derrière d’incisifs barreaux.
On approche une seringue.
Vous refusez le produit.
On vous maintient.
Vous exigez votre liberté.
On vous maintient.
Vous criez qu’on n’a pas le droit.
On vous cloue au matelas. On vous infiltre le produit.
Longues heures nulle part.
Puis le réveil.
Seule. Vous appelez. De plus en plus fort. La porte est blindée avec une épaisse vitre ronde armée.
Vous êtes nue livrée à n’importe quel regard derrière le hublot.
Au rang d’animal.
Sans larmes.
Mais une déperdition. Une honte. Une mutité. Un néant.
Tiré du « Cahier d’Emma »
DOMINIQUE
Tu as encore maigri.
Ton rire en saccades ne retient plus tes larmes.
Je lis la Mythologie mais tu n’y consens plus.
Tu sniffes.
Jour après jour.
Puis tu fugues, définitif.
– – – – – –
C’est en une autre saison.
Tu surgis de l’ombre de la cathédrale, une bouteille de bière à la main. Derrière toi, un chien et une femme.
D’abord, je ne te reconnais pas. Ta maigreur, tes cernes, tes trous dans les bras, tous ces bleus.
Ta vie, Dominique ?
Tu ris. Tu montres ton crâne rasé. Je bouscule ta seule mèche de cheveux blonds.
Tu montres ton oreille percée, ton nez percé, l’anneau dans ta lèvre. Les épingles sur ton blouson.
Tu dis, demain je pars pour Genève. Là-bas je trouverai du boulot. Du bon boulot. Là-bas, il y a de vrais restaurants.
Tu dis encore, et vous Madame, toujours avec les durs ?
Je souris dans tes yeux.
Je dis, tu te souviens, on t’appelait Mercédès, c’était toi le plus grand récolteur d’insignes.
Que je me souvienne longtemps de la brève étincelle alors dans ton regard.
J’apprendrai ta mort le printemps suivant. Overdose. Dix-sept ans.
Tiré de « Quelques-uns tombent dans le jour »
Monna
Un matin, Monna est nue.
Tu la vêts d’une robe brune à bordure d’entrelacs.
Pour des millénaires, tu lui places la main sur le poignet.
Tu creuses les chemins sensuels où les cycles géologiques s’enroulent sur sa peau.
Tu la veux au pied du chevalet.
Tu l’entoures d’ombre.
Tu perces l’ouverture.
Tu emplis les lacs.
Tu creuses de nouvelles vallées.
Tu es l’eau.
Tu es le vertige des rochers s’effritant.
Tu déposes le limon.
Monna est présente à la furie du geste.
Eternellement présente.
Elle sourit.